Agamemnon, Eschyle¹, Ve siècle av. J.-C.

Avec l’aide de son amant, Clytemnestre vient d’assassiner Agamemnon son époux et roi d’Argos2, accomplissant ainsi une vengeance longtemps différée. Celui-ci avait en effet donné en sacrifice leur fille Iphigénie afin que les dieux conduisent les navires grecs jusqu’aux bords de la ville de Troie pour y faire la guerre. Juste après avoir accompli son crime, elle s’adresse, sans l’ombre d’un remords, au Chœur3 des citoyens d’Argos.

CLYTEMNESTRE

J’ai tenu tout à l’heure un long discours, conformément à la circonstance ; je ne rougirai pas de le démentir. Car c’est le seul moyen, lorsqu’on veut assouvir sa haine sur un ennemi qui passe pour vous être cher, de dresser devant lui un filet de malheur assez haut pour qu’il ne puisse bondir par-dessus. J’ai songé longtemps d’avance à cette rencontre, pour trancher une ancienne querelle ; elle est enfin venue, après une longue attente, il est vrai, et je reste là où j’ai frappé, fière de ce que j’ai fait. J’avais pris mes mesures, et cela, je ne le nierai pas, pour qu’il ne pût ni fuir ni écarter la mort. Je l’ai enveloppé, comme un poisson, d’un filet sans issue, riche vêtement de malheur, et je le frappe deux fois, et, en deux gémissements, il laisse aller ses membres, et quand il est tombé, j’ajoute un troisième coup, offrande votive au Zeus souterrain, sauveur des morts. C’est ainsi qu’il vomit son âme en tombant. Son sang jaillit vivement sous l’épée tranchante et il m’éclabousse des noires gouttes de cette rosée sanglante, aussi douce à mon cœur que la rosée envoyée de Zeus l’est pour le grain qui germe dans le bouton. Voilà comment les choses se sont passées, citoyens révérés dans Argos. Qu’elles vous agréent ou non, moi je m’en applaudis. Si même il était séant des verser des libations sur un cadavre, il serait juste d’en verser sur celui-ci, plus que juste même, tant cet homme avait rempli de maux exécrables la coupe de la maison des Pélopides ! Mais c’est lui-même qui l’a vidée à son retour.

1. Eschyle : célèbre poète tragique grec (Ier siècle avant J.-C.).
2. Argos : ville en Grèce, dans le Péloponnèse. Elle a pour fondateur le fils de Zeus, Argos.
3. Chœur : Le Chœur joue un rôle important dans les pièces de théâtre de la Grèce antique. Composé d'hommes, de citoyens, costumés et masqués, le Chœur commente d'une seule voix l'action dramatique. Il danse et chante généralement. 

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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